VINGT ET UN

L’AIR MATINAL ÉTAIT FROID ET PIQUANT, LE SOLEIL À PEINE PLUS qu’une ombre rose vif se frayant un chemin vers l’horizon nuageux à l’est. Sur la véranda, Laurel enfila son manteau d’un mouvement des épaules et sortit ses clés de sa poche, essayant de faire le moins de bruit possible.

— Où vas-tu ?

Laurel hurla et laissa tomber ses clés. C’est ce qui s’appelait de la discrétion.

— Désolé, dit son père, passant la tête par la porte entrebâillée.

Ses cheveux étaient hérissés dans toutes les directions et il paraissait sonné – il n’avait jamais été en forme le matin.

— Je ne voulais pas te faire sursauter.

— Ça va, répondit Laurel en se penchant pour ramasser son trousseau. Je vais seulement chez Chelsea.

Elle aurait pu révéler à son père sa véritable destination, mais c’était plus simple ainsi. Moins de chance pour David de l’apprendre par hasard.

— Oh, c’est vrai, tu nous l’as dit hier soir. Pourquoi si tôt ?

— Chelsea a un rendez-vous avec Ryan ce soir, déclara Laurel, le mensonge sortant aisément de sa bouche.

Elle se demanda si cela ne devenait pas trop facile.

— Nous aurons besoin de tout le temps dont nous pouvons disposer.

— Bien, vas-y alors. Amuse-toi, lança son père en bâillant. Je retourne au lit.

Laurel se hâta vers sa voiture et recula aussi rapidement qu’elle le put sans attirer l’attention sur elle. Plus vite elle sortait de la ville, mieux ce serait.

En fin de compte, elle avait décidé de ne pas le dire à David.

Elle détestait mentir, mais elle ne savait pas quoi faire d’autre.

Après la nuit dernière, il serait trop inquiet ; il insisterait pour qu’elle annule.

Ou pour l’accompagner avec son stupide pistolet.

Elle détestait le fait de savoir à présent qu’il le transportait partout avec lui. Logiquement, elle ne pouvait pas l’en blâmer – il ne bénéficiait même pas des défenses rudimentaires qu’elle-même avait –, mais elle l’avait vu plusieurs fois la nuit dernière tendre la main vers son étui caché quand quelqu’un frappait à la porte. Ce qui, puisque c’était l’Halloween, arrivait toutes les quelques minutes. Il valait tout simplement mieux qu’elle ne lui apprenne pas où elle allait. Ils étaient tous les deux trop remontés.

Elle n’avait pas trouvé un bon prétexte pour Chelsea, alors elle ne lui dirait rien du tout. Avec de la chance, David ne s’apercevrait pas de son absence et Chelsea ne serait pas consultée. Elle partirait tôt du festival, si c’était nécessaire. Et pas seulement pour être de retour avant que David quitte son travail ; elle voulait être nulle part sauf en sécurité dans sa maison à la tombée de la nuit.

La circulation était fluide sur l’autoroute vers Orick, mais Laurel garda quand même un œil prudent sur les côtés de la route par son rétroviseur, observant les signes qui pourraient révéler qu’elle était suivie. Elle s’engagea dans la seule station-service d’Orick, et après avoir examiné le stationnement, elle courut à l’intérieur et se hâta vers les toilettes. Elle ouvrit son sac à dos et en sortit sa robe. Elle ne l’avait pas portée, sauf pour l’essayer ; maintenant, alors qu’elle faisait glisser l’étoffe froufroutante par-dessus sa tête et l’ajustait sur sa mince silhouette, elle fut parcourue d’un frisson d’excitation. Ses derniers pétales étaient tombés pendant la nuit et son dos était lisse et ivoire avec une minuscule cicatrice longitudinale au milieu, exactement comme l’année précédente. Après avoir jeté un coup d’œil à l’extérieur des toilettes pour s’assurer que le commerce était encore presque vide, Laurel fila à toute allure vers sa voiture, ses jupes bruissant autour de ses chevilles et de ses pieds chaussés de tongs. De là, il ne restait que quelques minutes avant le début de la longue allée menant à la maisonnette. Elle gara sa voiture derrière un gros sapin, la cachant hors de vue de la route.

Tamani l’attendait : pas à la lisière de la forêt, mais droit dans la cour devant la petite maison. Il était appuyé sur la grille d’entrée, une grande cape noire pendant sur ses épaules, ses hauts-de-chausse insérés dans de longues bottes noires. Sa respiration s’accéléra lorsqu’elle le vit.

Non pour la première fois, Laurel se demanda si sa venue aujourd’hui était une erreur. Il n’est pas trop tard pour changer d’avis.

Pendant que Laurel s’approcha, Tamani demeura immobile, la suivant des yeux. Il ne prononça pas un mot avant qu’elle s’arrête devant lui, si proche qu’il aurait pu tendre la main et l’attirer à lui.

— Je n’étais pas certain que tu viendrais, dit-il, sa voix légèrement cassée, comme s’il n’avait pas parlé depuis longtemps.

Comme s’il était resté debout dans la nuit froide, à l’attendre.

C’était peut-être le cas.

Elle pouvait partir. Tamani lui pardonnerait. Avec le temps.

Elle le regarda. Il y avait une trace de méfiance dans son attitude, comme s’il sentait qu’elle était sur le point de repartir.

Une bourrasque de vent souffla entre les arbres et rabattit les cheveux de Tamani sur ses yeux. Il leva une main et coinça les longues mèches derrière son oreille. Juste une seconde, alors que son avant-bras croisa son visage, il baissa les yeux, la parcourant du regard des pieds à la tête – une chose qu’il ne se permettait presque jamais. Et dans ce quart de seconde, quelque chose sembla différent. Laurel n’était pas sûre de ce que c’était.

— À Avalon ?

Tamani désigna les arbres pendant que sa main exerçait une pression délicate sur le bas du dos de Laurel. Elle approchait le point de non-retour ; une partie d’elle-même le pressentit.

Elle observa Tamani ; elle observa les arbres.

Puis, elle avança et franchit la limite.

 

Les rues d’Avalon grouillaient de fées. Même avec Tamani pour la guider avec précaution, c’était un peu difficile de se frayer un chemin dans la foule.

— Que fait-on, exactement, dans un festival ? demanda Laurel, évitant un petit groupe serré de fées conversant au milieu de la rue.

— Cela dépend. Aujourd’hui, nous allons au Grand théâtre dans le quartier des fées d’été pour voir un ballet. Après, nous nous rassemblerons tous sur la pelouse commune où il y aura de la musique, de la nourriture et de la danse.

Il hésita.

— Ensuite, les gens resteront ou se disperseront, à leur choix, et les festivités se poursuivront jusqu’à ce que tout le monde soit satisfait et retourne à ses activités habituelles. Par-là, dit-il en pointant une colline en pente douce.

Pendant qu’ils grimpaient, l’amphithéâtre apparut lentement.

Au contraire de l’Académie, qui était surtout en pierres, ou les maisons des fées d’été, qui étaient en verre, les murs de l’amphithéâtre étaient faits d’arbres vivants, comme l’endroit où vivait la mère de Tamani. Mais au lieu d’être ronds et creux, ces arbres à l’écorce noire étaient étirés et aplatis, se chevauchant pour former un pan de bois solide d’au moins quinze mètres surmontés d’un feuillage dense. Des rouleaux de soie vivement colorés, des fresques magnifiquement peintes et des statues de marbre et de granite ornaient les murs presque au hasard, donnant à la structure massive une atmosphère de fête.

L’admiration de Laurel fit place au découragement quand ils se retrouvèrent près de la fin d’une longue file de fées attendant d’entrer dans l’amphithéâtre. Elles étaient habillées avec élégance, quoique Laurel ne vit personne dans des vêtements aussi beaux que les siens. Mauvaise tenue, encore une fois. Elle soupira et se tourna vers Tamani.

— Cela va prendre une éternité.

Tamani secoua la tête.

— Ce n’est pas ton entrée.

Il pointa à droite de la queue et continua de la guider dans la foule. Ils atteignirent une petite voûte percée dans les murs de l’amphithéâtre à environ quinze mètres de l’entrée principale. Deux grands gardes vêtus d’uniformes bleu foncé se tenaient de chaque côté de la porte.

— Laurel Sewell, annonça Tamani doucement aux gardes.

L’un d’eux jeta un rapide coup d’œil à Laurel avant que ses yeux ne reviennent vers Tamani. Pour une raison inconnue, il regarda les bras de Tamani de bas en haut avant de parler.

— Am Fear-faire pour une fée d’automne ?

— Fear-gleidhidh, corrigea Tamani en décochant un regard gêné à Laurel. Je suis Tamani de Rhoslyn. Par l’œil d’Hécate, mec, j’ai dit qu’elle était Laurel Sewell.

Le garde se redressa légèrement et hocha la tête en direction de son partenaire, qui ouvrit la porte.

— Vous pouvez passer.

— Fear-glide ? demanda Laurel, sachant qu’elle massacrait le terme au moment même où il franchissait ses lèvres.

— Cela signifie que je suis ton… cavalier, répondit Tamani, les sourcils froncés. Quand je lui ai dit ton nom de famille humain, j’ai supposé qu’il réaliserait qui tu es et ne ferait pas d’histoire. Mais il est clair qu’il n’a pas été formé au manoir.

— Au manoir ?

Pourquoi chaque conversation avec Tamani se transformait-elle en cours intensif sur la culture des fées ?

— Pas maintenant, répliqua Tamani doucement. Ce n’est pas important.

Et, en effet, lorsque Laurel parcourut du regard l’intérieur de l’immense amphithéâtre, toutes questions s’évanouirent de son esprit et le souffle lui manqua devant ce délice.

Les murs de l’amphithéâtre avaient été cultivés autour d’une dépression profondément inclinée au-dessus de la colline. Elle se tenait à présent sur une grande mezzanine, une excroissance de branches étroitement entrelacées qui s’étirait à l’extérieur des murs vivants. Sauf pour trois chaises dorées très ornées installées sur une estrade au centre de la mezzanine, tous les sièges étaient en bois, garnis de coussins de soie rouge et munis d’appui-bras ayant poussé directement du sol sans marques d’assemblage apparentes. Elles avaient manifestement été disposées selon le meilleur angle de vision au non pour maximiser le nombre de places.

À quinze mètres plus loin, Laurel aperçut une foule de fées passant l’entrée principale et descendant au rez-de-chaussée, qui était à peine plus qu’un flanc de coteau gazonné. Il n’y avait pas de sièges sous la mezzanine, mais les fées se rassemblaient en toute amitié, jouant du coude pour s’approcher autant que possible de la plus grande scène que Laurel n’avait jamais vue. Elle était drapée de rideaux en soie blanche qui scintillait sous les milliers de cristaux oscillant doucement sous la brise, formant des arcs-en-ciel dans tout le théâtre. D’en haut, des rayons de soleil se déversaient à travers la fine marquise de tissu vaporeux qui se gonflait et ondulait avec le vent. Elle adoucissait l’éclat du soleil sans en bloquer les rayons bénéfiques.

Et partout où elle regardait, Laurel voyait des diamants chatoyer, des bandes d’étoffe dorée, des tapisseries élaborées célébrant l’histoire d’Avalon. Les coins sombres étaient éclairés avec des orbes en or comme celui que Tamani avait utilisé sur Laurel plus d’un an auparavant, après qu’elle avait été lancée dans la rivière Chetco. Ici et là, des couronnes de fleurs ou des piles de fruits ornaient des colonnes de bois ou de pierre installées au hasard.

Laurel prit une profonde respiration et commença à avancer, se demandant où s’asseoir. Après quelques secondes, elle regarda derrière elle, sentant que Tamani ne la suivait plus. Il se tenait près de la voûte d’entrée, avec l’air de vouloir y rester.

— Hé ! lança-t-elle en revenant vers lui à grandes enjambées. Viens, Tam.

Il secoua la tête.

— C’est seulement pour le spectacle. Je vais t’attendre ici et nous nous rendrons ensuite aux festivités.

— Non, déclara Laurel.

Elle se plaça à côté de lui et posa une main sur son bras.

— Je t’en prie, accompagne-moi, dit-elle à voix basse.

— Je ne peux pas, répondit Tamani. Ce n’est pas ma place.

— Je dis que c’est ta place.

— Discutes-en avec la reine, rétorqua railleusement Tamani.

— Je le ferai.

L’inquiétude emplit sa voix à présent.

— Non, Laurel. Je ne peux pas. Je ne ferais que causer des ennuis.

— Alors, je resterai ici avec toi, affirma-t-elle en glissant sa main dans la sienne.

Tamani secoua de nouveau la tête.

— C’est ma place. Là – il désigna d’un geste les sièges de soie rouge au bord de la mezzanine – c’est la tienne.

— Jamison sera ici, Tam. Nous insisterons tous les deux pour que tu t’assoies avec moi. J’en suis certaine.

Les yeux de Tamani passaient rapidement de Laurel aux fées d’automne fourmillant sur la mezzanine à la foule de fées de printemps se déversant par l’entrée principale.

— Bien, dit-il en soupirant.

— Merci ! lança Laurel, se soulevant instinctivement sur les orteils pour lui embrasser la joue.

Dès qu’elle l’eut fait, elle souhaita pouvoir reprendre son geste.

Elle recula de quelques centimètres et parut incapable d’aller plus loin. Tamani tourna la tête pour la regarder directement en face. Il était si près, leurs nez se touchaient presque. Son souffle caressait les lèvres de la jeune fille et elle sentit qu’elle s’inclinait vers lui.

Tamani détourna le visage.

— Ouvre le chemin, dit-il d’une voix si basse que Laurel l’entendit à peine.

Laurel conduisit donc Tamani en bas des marches et sur la mezzanine, et cette fois, il lui emboîta le pas. Mais le Tamani nerveux, presque effrayé, qui la suivait était un étranger pour Laurel. Son impudence s’était envolée, son assurance minée ; il donnait l’impression de vouloir disparaître sous sa cape.

Laurel s’arrêta et se tourna vers lui, les mains sur les avant-bras de Tamani, ne parlant pas jusqu’à ce qu’il lève les paupières vers elle.

— Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Je ne devrais pas me trouver ici, murmura-t-il. Ce n’est pas ma place.

— Ta place est avec moi, rétorqua fermement Laurel. J’ai besoin de toi avec moi.

Il baissa les yeux vers elle, une trace de peur dans le regard qu’elle ne lui avait jamais vue auparavant. Même pas quand Barnes avait tiré sur lui.

— Ce n’est pas ma place, insista-t-il encore. Je ne veux pas être cette fée-là.

— Quelle fée ?

— Le genre qui s’accroche à une fille au-dessus de sa condition, consumé par l’ambition comme un animal ordinaire. Ce n’est pas ce que je fais ; je t’en fais le serment, ce n’est pas cela. Je voulais seulement te rejoindre après. Je n’ai pas planifié ceci.

— Est-ce parce que tu es une fée de printemps ? demanda-t-elle brusquement.

Le bourdonnement de la foule protégeait relativement le caractère privé de leur conversation, mais elle baissa quand même la voix.

Tamani refusa de croiser son regard.

— C’est ça ! Non seulement ils pensent que tu es un citoyen de seconde classe – oh, excuse-moi, de quatrième classe – tu le penses aussi. Pourquoi ?

— C’est seulement ainsi que sont les choses, marmotta Tamani, évitant toujours son regard.

— Bien, ce n’est pas ainsi qu’elles devraient être ! siffla Laurel.

Elle saisit Tamani par les deux épaules et l’obligea à la regarder.

— Tamani, tu vaux deux fois n’importe quelle fée d’automne à l’Académie. Je ne voudrais personne d’autre que toi dans tout Avalon pour m’accompagner.

Elle serra les dents avant de continuer, sachant que cela le blesserait, mais ce serait peut-être la seule chose qu’il écouterait.

— Et si tu te soucies de moi à moitié autant que tu le prétends, alors ce que je pense devrait avoir beaucoup plus d’importance que ce qu’ils pensent.

Les yeux rivés sur les siens s’assombrirent. Un long moment passa avant qu’il acquiesce d’un signe de tête.

— D’accord, accepta-t-il, la voix toujours basse.

Elle hocha la tête, mais ne sourit pas. Ce n’était pas le moment de sourire.

Il la suivit dans son dos, sa cape noire tournoyant à ses pieds. À présent, il broyait du noir en silence, mais avec un air déterminé.

— Laurel ! s’exclama une voix familière.

Laurel se tourna pour voir Katya, resplendissante dans sa robe en soie qui soulignait sa silhouette. Des pétales rose pâle assortis à la teinte de sa robe s’élevaient en haut de ses épaules. Ses cheveux blond pâle encadraient parfaitement son visage et elle portait un peigne en argent étincelant au-dessus de son oreille gauche.

— Katya.

Laurel sourit.

— J’espérais que tu viendrais pour ceci ! déclara Katya. C’est le meilleur festival auquel assister de toute l’année.

— C’est vrai ? s’enquit Laurel.

— Bien sûr. Le début de la nouvelle année ! De nouveaux objectifs, de nouvelles études, de nouveaux stages. Je l’attends avec impatience toute l’année.

Elle enroula son bras autour de celui de Laurel et l’attira vers l’autre extrémité de la mezzanine.

— Je pense que Mara sera enfin élevée au rang d’artisan demain, dit-elle en gloussant.

Son regard survola brièvement l’endroit où la fée aux yeux sombres se tenait, vêtue d’une spectaculaire robe mauve avec un décolleté beaucoup plus plongeant que Laurel aurait osé porter en public. Comme Katya, Mara était en fleur, une modeste étoile à six pointes ressemblant à un narcisse rehaussait la couleur de sa robe.

Laurel regarda derrière elle pour s’assurer que Tamani la suivait et elle lui offrit un petit sourire rapide quand il croisa son regard.

— Tu l’as amené ? chuchota Katya.

— Bien sûr, répondit Laurel à plein volume.

Katya sourit, d’un sourire un tantinet tendu.

— Idiot de ma part. Tu as certainement besoin d’un guide. Tu n’as jamais assisté à l’un de ces festivals. J’aurais dû y penser. Je te vois après le spectacle, d’accord ?

Katya la salua joyeusement de la main, puis pivota et disparut dans un petit groupe de fées ; Laurel en reconnut la plupart en raison de son séjour à l’Académie. Quelques-unes la fixaient sans aucune gêne. Elle avait été tellement occupée à admirer son entourage qu’elle n’avait pas remarqué les fées sur la mezzanine les regardant à la dérobée, elle et Tamani. Elle mit un moment à comprendre pourquoi.

Katya et Mara n’étaient pas les seules en pleine floraison. Les fleurs parsemant la mezzanine étaient petites et sans prétention en comparaison de celles que Laurel avait vues cet été, ayant tendance à n’avoir qu’une seule couleur et une forme simple, comme la sienne. Mais elles étaient toutes en fleur ; chaque femelle d’automne.

Sauf elle.

Laurel songea à la température à Avalon ; c’était un peu plus frais que lorsqu’elle y était pendant l’été, mais à peine. Elle se demanda comment les corps des fées savaient quand fleurir. Était-ce l’angle du soleil ? Le léger changement de température ? Cela faisait du sens que le climat tempéré d’Avalon retarde l’effloraison automnale – et la prolonge possiblement –, mais de combien de temps ? Laurel prit bonne note de s’informer davantage sur la floraison quand elle reviendrait à Avalon l’été prochain. Jusque-là, elle ne pouvait que conclure qu’il y avait quelque chose de différent entre Avalon et Crescent City. Deux jours plus tôt, deux degrés plus hauts, et elle ne se serait peut-être pas sentie aussi peu à sa place.

Levant le menton avec détermination, Laurel se dirigea vers le bord du balcon. Elle toucha le bras de Tamani et baissa le regard sur ses mains. Comme elle s’y attendait, il avait à un moment donné sorti une paire de gants veloutés noirs. Même lui l’avait remarqué.

Refusant de s’appesantir sur le sujet, Laurel regarda le plancher principal sous elle et tourna son attention d’abord vers les décorations et ensuite vers les fées elles-mêmes. Leurs tenues étaient beaucoup plus ordinaires et Laurel ne vit pas beaucoup de reflets venant de bijoux, mais les fées de printemps paraissaient totalement heureuses. On s’étreignait – les bras se resserrant du même coup autour des enfants – on échangeait des salutations, et même de là où elle se trouvait, très haut au-dessus d’elles, des éclats de rire parvenaient aux oreilles de Laurel.

— Sont-elles toutes des fées de printemps ? demanda Laurel.

— La plupart, répondit Tamani. Il y a quelques fées d’été trop jeunes pour se produire en spectacle, mais la plupart des fées d’été en font partie.

— Est-ce que…

Elle hésita.

— Est-ce que Rowen est en bas ?

— Quelque part. Avec ma sœur.

Laurel hocha la tête, ne sachant pas quoi ajouter. Elle n’avait pas pensé que le fait de l’accompagner signifiait que Tamani ne pourrait pas s’asseoir avec sa famille. Une culpabilité familière l’envahit. C’était trop facile de croire que Tamani ne vivait que pour elle, que sa vie n’existait pas, sauf quand elle croisait la sienne.

D’oublier qu’il y avait d’autres gens qui l’aimaient.

Le bourdonnement de la foule se modifia brusquement et toutes les fées sous la mezzanine levèrent les yeux, l’air d’attendre quelque chose.

Laurel sentit la main de Tamani sous son bras, et tout à coup, il l’escortait à moitié et la tirait à moitié vers plusieurs rangées de sièges plus loin au centre de la mezzanine.

— Il doit s’agir des fées d’hiver, chuchota Tamani. Jamison, Yasmine et Sa Majesté, la reine Marion.

La gorge de Laurel se serra lorsqu’elle se détourna de Tamani et reporta son attention – comme toutes les fées – sur la voûte d’entrée à l’extrémité de la mezzanine. Elle ne savait pas si elle était plus surprise d’apprendre qu’elles étaient seulement trois ou qu’elles étaient si nombreuses. Elle avait toujours uniquement pensé à Jamison et à l’insaisissable reine auparavant.

Un entourage de gardes en uniformes bleu ciel entra en premier ; Laurel les reconnut pour les avoir vus la dernière fois où elle avait été avec Jamison. Les gardes furent immédiatement suivis par Jamison en personne, portant une robe vert foncé et son habituel sourire pétillant. Il escortait une jeune fille d’environ douze ans, sa douce peau ébène et ses bouclettes soigneusement coiffées rehaussant une robe de soirée extrêmement formelle en soie mauve pâle. Puis, tout l’amphithéâtre sembla inspirer en même temps quand la reine fit son entrée.

Elle portait une robe blanche chatoyante avec une traîne tressée de fils scintillants qui se courbait depuis le sol sous la faible brise. Ses cheveux étaient noir de jais et flottaient dans son dos en légères vagues, s’arrêtant juste sous sa taille. Une délicate couronne de cristal était en équilibre sur sa tête avec des rangées de diamants attachés qui tombaient dans ses boucles et miroitaient dans la lumière du soleil.

Mais c’est son visage qui attira l’attention de Laurel.

Des yeux vert pâle examinaient la foule. Bien que Laurel savait que ce visage serait considéré comme beau selon les standards de tous les magazines beauté, elle ne réussissait pas à outrepasser les lèvres pincées, le minuscule pli entre les yeux, le léger arc d’un sourcil, comme si elle répugnait à saluer les profondes révérences que tout le monde effectuait autour d’elle.

Y compris Tamani.

Ce qui laissait Laurel seule à se tenir droite.

Elle se hâta de s’incliner comme tous les autres avant que la reine ne la voie. Apparemment, cela fonctionna ; le regard de la souveraine voltigea au-dessus de la foule sans s’arrêter et, en quelques secondes, les fées d’automne avaient repris leurs positions redressées et leurs conversations sourdes.

Marion pivota en faisant doucement virevolter sa robe et elle marcha vers l’estrade où les trois chaises ornementées étaient posées en évidence parmi les autres. Laurel observa Jamison prendre la main de la fillette et l’aider à monter les marches, puis à s’installer dans une chaise molletonnée à la gauche de la reine.

Laurel attira son regard, et il sourit et murmura quelque chose à la petite fille avant de se tourner et de s’approcher d’eux. La foule ne cessa pas de parler ou de rire au passage de Jamison, mais les fées se déplaçaient subrepticement pour dégager la voie.

— Ma chère Laurel, dit Jamison et ses yeux – maintenant verts, pour s’assortir à sa robe – étincelaient. Je suis tellement heureux que tu sois venue.

Il donna une tape sur l’épaule de Tamani.

— Et toi mon garçon. Il s’est écoulé trop de mois depuis que je t’ai vu la dernière fois. Tu te surmènes à ton portail, j’imagine.

Tamani sourit, se dépouillant un peu de son air maussade.

— En effet, Monsieur. Laurel nous garde occupés avec ses polissonneries.

— J’imagine que oui, répliqua Jamison avec un grand sourire.

Le son d’instruments à cordes que l’on accordait emplit le vaste amphithéâtre.

— Je ferais mieux d’aller m’asseoir, déclara Jamison.

Mais avant de partir, il leva les mains vers le visage de Laurel pour encadrer délicatement ses joues de ses doigts.

— Je suis tellement content que tu aies pu te joindre à nous, dit-il, sa voix tel un doux murmure.

Puis, il n’était plus là, sa robe d’un vert profond bruissant en s’éloignant dans la foule.

Tamani poussa légèrement Laurel vers les sièges à l’autre extrémité du grand balcon, où Katya les appelait en agitant la main.

— Qui est cette petite fille ? s’enquit Laurel en s’étirant le cou pour observer Jamison remettre quelque chose à la fillette avant de s’asseoir.

— C’est Yasmine. C’est une fée d’hiver.

— Oh. Sera-t-elle reine un jour ?

Tamani secoua la tête.

— Peu probable. Elle suit Marion de trop près en âge. La même chose s’est produite avec Jamison et Cora, la reine précédente.

— Il n’y a que trois fées d’hiver dans tout Avalon ?

— Seulement trois. Et souvent moins.

Tamani sourit.

— Ma mère a été la Jardinière de Marion et de Yasmine. Yasmine s’est épanouie juste avant que ma mère ne prenne sa retraite. Très peu de Jardinières ont l’honneur de s’occuper de deux fées d’hiver.

Il inclina la tête vers la jeune fée d’hiver.

— J’ai eu l’occasion de connaître un peu Yasmine avant qu’elle ne soit envoyée au palais d’hiver. Gentille petite. Bon cœur, je crois.

Jamison est très attaché à elle.

Juste à ce moment-là, une petite fée habillée avec recherche sortit de derrière les rideaux massifs qui s’étiraient sur la scène. La foule se tut.

— Prépare-toi, murmura Tamani dans son oreille. Tu n’as jamais rien vu de pareil.

 

Sortilèges
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